Par Lucila JALLADE
L’année dernière, lors d’une visite en Argentine, mon pays d’origine, j’avais fait part à Ensemble de mes impressions sur la situation du pays dans des domaines qui sont familiers aux français.
Primo, la crise alimentaire, vue d’Argentine grand exportateur agricole, avait un aspect « favorable » pour le pays en raison de l’augmentation des prix internationaux des produits agricoles. Mais j’avais trouvé sur place une crise politique entre le gouvernement, (qui avait essayé d’imposer, sans concertation, des taxes supplémentaires dites « retentions » aux surplus de revenus d’exportation) et les syndicats ruraux (dont certains sont accusés d’oligarques). Des grèves de producteurs ruraux avaient bloqué les exportations pendant des mois.
Ensuite, Cristina Kirchner, première femme présidente massivement élue fin 2007, faisait alors ses premiers pas dans sa fonction, tout comme Sarkozy. J’avais aussi trouvé des espoirs déçus car plutôt qu’un mode de gouvernement plus « féminin », plus balancé et plus juste, la crise avait mis en évidence un retour aux bonnes vielles méthodes de gouvernance du péronisme traditionnel : autoritarisme, populisme, étatisme à outrance, dépenses somptuaires de la première dame, sans parler de la corruption. Et encore une fois, un couple emblématique concentrant les leviers du pouvoir (Nestor Kirchner a été entre temps élu président du parti péroniste…). « La présidente chute dans les sondages et on entend partout, ce qui a un air de déjà vu, A-t-elle perdu la tête ? Crise de la démocratie ? »
Le blocage a été résolu beaucoup plus tard de façon assez inattendue quand le projet de loi sur les fameuses « rétentions », présenté in extremis par le gouvernement confiant de sa force à la chambre de députés, a été rejeté par une majorité de… 1 voix. Outre les voix des partis d’opposition, certains péronistes et alliés d’autres partis se sont « rebiffés ». Un embryon d’un futur front d’opposition?
Et aujourd’hui ?
La crise mondiale se fait aussi sentir en Argentine en raison de la chute brutale des prix agricoles et donc des revenus d’exportation. La situation s’est retournée drastiquement pour devenir crise agricole et budgétaire à laquelle s’ajoute une grave sécheresse ces derniers mois qui s’avère difficile à supporter pour de nombreux « campesinos » déjà mal en point suite à la baisse des revenus résultant du conflit l’année dernière. Sur le plan fiscal, la manne des taxes sur les exportations agricoles s’est tarie et les surplus fiscaux avec. Le remboursement de la dette publique devient hasardeux. Le gouvernement est contraint de chercher désespérément de nouvelles sources de financement cruciales dans cette année électorale (heureusement il y a encore des élections!!!…).
En outre, la nature autoritaire et populiste du gouvernement de Cristina K, typique du péronisme traditionnel, n’a fait que se renforcer. Le pays a élu une « présidente » mais il est gouverné par un couple (et depuis leur résidence privée !). Le service national de statistiques est sous le contrôle du gouvernement et les chiffres désagréables sur l’inflation ou la pauvreté édulcorés. Les amis du couple présidentiel sont omniprésents dans les medias. La nationalisation des caisses de retraites privées a permis de gonfler revenus fiscaux de l’État central et l’argent est distribué de façon clientéliste aux élus locaux dociles face au pouvoir.
A coté de ceci, que représentent les prises de position progressistes, les associations des droits de l’homme courtisées et les appels à « redistribuer » la richesse ? Pendant que la classe moyenne se meure et que la fracture sociale se développe, alors que les excellentes écoles publiques de jadis ne sont plus qu’un souvenir ? Que doit-on penser des visites d’État à Castro et Chavez la semaine même où Obama entre en fonction ? Ou des nationalisations brutales d’entreprise, comme celle d’Aerolineas Argentinas détenue par des capitaux espagnols, puis suivie d’une visite en Espagne avec des festivités royales en tenue de luxe ? Et ainsi de suite…
Ce mélange d’autoritarisme sous couvert de démocratie, de médiatisation « people » et de « postures » d’apparence progressiste me semble, toutes distances gardées, avoir d’étranges ressemblances avec le cas français. Et ici, comme là-bas, on se demande si et comment on va s’en sortir.
Les postures progressistes du gouvernement de Cristina K trouvent encore un écho parmi certains groupes, comme les Mères de la Place de mai et certains intellectuels ou militants de gauche, « compagnons de route » qui font penser un peu à leurs frères européens des années 60 et 70. Mais le mécontentement monte au sein de la population, à en juger par les sondages. Et l’opposition s’organise y compris au sein même du péronisme, ce qui est essentiel parce que tout changement semble impossible en dehors du péronisme. Mais le péronisme pourra-t-il changer et se mettre en accord avec son temps ? Les efforts pour faire évoluer le mouvement péroniste datent de plusieurs décennies quand des milliers de militants motivés s’y sont engagés dans l’espoir de le faire dépasser son populisme clientéliste et de construire un parti « sérieux », de gauche ou de centre gauche. Ces militants sont toujours là mais leur influence est limitée. Échoueront-ils définitivement ?
Je veux croire à la sagesse des gens d’ici. Ils ont déjà su se débarrasser – par leur vote – des coups d’état militaires. Ici comme ailleurs, la classe politique, saura-t-elle leur offrir le leadership nécessaire ?
On ne nous dit pas tout, comme dit Anne Roumanoff. Cet article est très intéressant et édifiant sur ce qui se passe réellement, alors que l’on nous a « vendu » Christina K comme une personnalité plutôt de gauche. D’ailleurs, on ne nous a parlé que de la rencontre de Cristina K avec Castro et Chavez sous un jour favorable de démarche plutôt de gauche et qui n’est en fait qu’un écran de fumée. Pauvre argentins qui repartent pour des jours sombres. Merci à Lucilla de cet éclairage.